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Prolégomènes 8-14 : Le dicton est un ornement du style (Vladislav Dolidon)

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Message  JCS Dim 11 Avr - 21:13

VIII. Le dicton est un ornement du style

En outre, je ne crois pas utile d᾿expliquer trop longuement combien l᾿usage opportun des proverbes ajoute en dignité ou en grâce au discours. Qui ne voit d᾿abord, en effet, combien de majesté ils lui procurent ne serait-ce que par leur simple antiquité ? De plus, toutes les figures qui accroissent du style l᾿ampleur et le sublime, toutes celles qui participent à la grâce de l᾿énoncé, tout ce qui contribue, enfin, à lui donner de la gaîté (puisqu᾿on voit les dictons passer par toutes les nuances, espèces de figures ou formes d᾿humour), tout cela jouera naturellement son rôle habituel dans le proverbe ; et celui-ci ajoutera de surcroît, sur ses fonds propres, quelque agrément particulier. Ainsi donc, si les adages sont insérés dans notre trame avec adresse et à propos, il adviendra que tout le style étincelle, comme constellé de petites étoiles du temps jadis, qu᾿il sourit par la couleur des figures, qu᾿il resplendit de sentences ainsi que de joyaux, qu᾿il charme par sa douce gaîté ; qu᾿enfin il éveille par sa nouveauté, plaît par sa brièveté, par son autorité persuade.


IX. Le dicton aide à comprendre les auteurs

À supposer même que les dictons n᾿aient d᾿autre utilité que celle-ci, du moins pour comprendre tous les meilleurs auteurs, c᾿est-à-dire tous les plus anciens, ils ne sont pas seulement utiles, mais même indispensables. C᾿est que l᾿essentiel du texte de ces auteurs est corrompu – corruption qui sans doute frappe au premier chef les dictons, pour cette raison qu᾿ils ont quelque chose de presque énigmatique qui les rend incompréhensibles même pour des lecteurs moyennement cultivés. Une autre raison en est leur fréquente insertion comme ex abrupto, alors même parfois qu’ils sont tronqués, par exemple « À leur source » ; de temps à autre, ils sont notés d᾿un seul mot, comme chez Cicéron dans ses Lettres à Atticus : « Aide-moi, je t᾿en prie, tant que c᾿est le début ». Or il renvoie à ce proverbe :
Soigner le tout début vaut bien mieux que la fin.

Toutes ces expressions plongent donc dans d᾿épaisses ténèbres, si on les ignore ; et à rebours, elles apportent une vive lumière, si elles sont comprises. D᾿où cette corruption prodigieuse des manuscrits tant grecs que latins, d᾿où les erreurs honteuses de traducteurs passant du grec au latin, d᾿où extravagances risibles et purs délires de la part même de certains érudits, lorsqu᾿ils expliquent les auteurs. Pour ma part, j᾿en rapporterais bien ici quelques exemples, si je ne jugeais plus clément et plus conforme à mon projet de laisser à chacun, après avoir lu mon commentaire, le soin de méditer par lui-même sur l᾿ampleur des délires dans lesquels tombent en certains passages des écrivains de renom. Enfin, il arrive parfois qu᾿un auteur fasse allusion à un proverbe sans le citer ; et si cela nous échappe, même dans le cas où nous croyons comprendre la phrase, notre ignorance du dicton nous empêchera pourtant d’en goûter la substance. C᾿est le cas de ce mot d᾿Horace : « Pour qu᾿un cheval me porte et me nourrisse un roi. » Et chez Virgile : « Celle que les destins pour toujours ont condamnée à l᾿immobilité, Camarina, apparaît au loin . » Celui-là, en effet, est sous-tendu par le proverbe : « Un cheval me porte, un roi me nourrit . » Celui-ci par : « Que Camarina reste en place. »


X. Bien reconnaître la difficulté du genre

Puisque c᾿est conforme au proverbe « Ce qui est beau est difficile », et que tout ce qui a l᾿air facile, considéré comme méprisable, suscite d᾿ordinaire l᾿ennui (en passant, je ne dis rien de moi ni de la sueur que m᾿a coûtée cet ouvrage), que personne ne pense qu᾿il soit tellement aisé de comprendre un dicton ou de l᾿insérer dans son propos. Aussi vrai que le piètre artisan ne saurait enchâsser avec art une petite pierre précieuse dans un anneau, ni insérer de l᾿or dans une trame de pourpre, il n᾿est de même pas à la portée du premier venu d᾿introduire dans son discours un dicton convenablement adapté. Et ce que Quintilien écrit sur le rire – que rien n᾿est aussi dangereux à rechercher –, on le dirait à bon droit au sujet du proverbe. C᾿est qu᾿en cette matière, comme aussi en musique, à moins de se montrer grand artiste, on risque le ridicule ; et il faut que l’on y gagne ou une louange appuyée, ou les moqueries.


XI. Jusqu᾿à quel point user des adages

J᾿indiquerai par conséquent jusqu᾿à quel point et dans quelle mesure il convient d᾿user des adages. Et en premier lieu il faudra se rappeler d᾿observer nous-mêmes, dans l᾿utilisation des adages, le précepte élégant d᾿Aristote, dans son traité sur la Rhétorique, sur l᾿emploi des épithètes : à savoir de ne pas en user comme d᾿aliments, mais comme de condiments, c᾿est-à-dire non pas à satiété, mais pour l᾿agrément. Nous ne devons pas, en outre, les insérer n᾿importe où : car de même qu᾿il serait ridicule de s᾿orner d᾿une pierre précieuse en certains endroits, il serait aussi absurde d᾿employer un adage à un moment incongru. Et ce que Quintilien a prescrit au livre huit des Institutions sur l᾿emploi des sentences, cela pourrait bien, à peu près mot pour mot, s᾿appliquer aux dictons. D᾿abord, comme on a dit, que nous n᾿en usions pas trop fréquemment. En effet, « leur grand nombre empêche à l᾿inverse » qu᾿ils n᾿aient de l᾿éclat, de même qu᾿ « une peinture dans laquelle aucun contour n᾿est souligné n᾿a pas non plus de relief. C᾿est la raison pour laquelle les artistes, même lorsqu᾿ils rassemblent plusieurs sujets en un seul tableau, ménagent entre eux des espaces, pour éviter que des ombres ne portent sur les différents éléments. De fait, tout dicton s᾿interrompt, et lui succède donc nécessairement un nouveau commencement. Il en résulte que le discours est pour ainsi dire désagrégé : constitué non de membres mais de petits morceaux, il manque de structure. De surcroît, aussi vrai qu᾿un clou inséré dans la pourpre à un endroit adéquat apporte de la lumière, un vêtement dont la trame serait bariolée d᾿une foule d᾿ornements ne siérait à personne. » S᾿y ajoute également cet inconvénient, que celui qui affecte les dictons sans relâche doit y mêler des dictons froids ou forcés. « C᾿est qu᾿on ne peut pas choisir quand on veut faire du nombre. » Pour finir, tout ce qui est démesuré ou à contretemps perd son agrément. Cependant, dans les lettres amicales, on pourra jouer du genre un peu plus librement ; mais dans le discours sérieux, il faut les employer avec à la fois plus de parcimonie et davantage de circonspection.


XII. Diverses façons d’employer les proverbes

Je crois qu᾿il ne sera pas hors de propos d᾿indiquer ici, même brièvement, comment on peut à loisir employer les dictons de façons diverses, et avancer ainsi le même adage sous plusieurs formes différentes. Pour commencer, il est des cas où rien n᾿empêche de faire dire bien des choses à la même maxime, comme le fameux « Tonneau percé », qui peut s᾿appliquer successivement à un homme oublieux, dissipateur, cupide, frivole, ou encore ingrat. En effet, tout ce que l’on verse dans l᾿esprit d᾿un amnésique s᾿en écoule nécessairement ; chez le prodigue, rien ne reste longtemps ; la convoitise de l᾿homme cupide n᾿est jamais comblée ; celui qui est frivole ou bavard ne garde rien ; tout ce dont on fait bénéficier un ingrat est perdu. Quelquefois, la maxime est détournée par ironie : on lui fait même dire le contraire de ce qu᾿elle signifie ; par exemple, si en parlant d᾿un fieffé menteur on disait : « Écoute les sentences du trépied . » Il arrive parfois qu᾿après le changement d᾿un seul petit mot, elle convienne à d᾿autres situations, comme « Les cadeaux des ennemis ne sont pas des cadeaux » : le même adage, détourné, peut s᾿appliquer aux ennemis, aux pauvres, aux flatteurs, aux poètes. Car on pense que les cadeaux des ennemis apportent la ruine ; et tout ce que donnent les pauvres, les flatteurs, les poètes, ce sont, plutôt que des cadeaux, des moyens de nous entreprendre.
Bref, un proverbe est adaptable à toutes les situations qui vont, de quelque manière que ce soit, dans le sens de cet exemple. On peut procéder ainsi dans presque tous les cas où l᾿on transpose à une chose ce qui s᾿appliquait à une personne, ou l᾿inverse. Voici qui se rapporte à une personne : ‘Le proverbe dit « Pas même Hercule s’il est seul contre deux », mais moi, qui suis plus un Thersite qu᾿un Hercule, comment pourrais-je répondre aux deux à la fois ?᾿ On le déformera ainsi pour l᾿appliquer à une chose : ‘Comme dit le proverbe, « Pas même Hercule seul contre deux », et moi donc, comment pourrais-je faire face et tenir quand se liguent la maladie et le dénuement ?᾿ On peut aussi varier en inversant le proverbe : ‘Tu connais la maxime : « Pas même Hercule seul contre deux », et toi seul tu oses rencontrer deux Hercule ?᾿ Ou encore de cette façon : ‘Au rebours du proverbe courant chez les Grecs, j᾿ai trouvé un trésor quand j᾿attendais du charbon’, et : ‘Nous avons échangé non pas « or contre airain », mais vraiment « airain contre or ».
En outre, l᾿adage est quelquefois expliqué et mis en parallèle, mais parfois aussi on ne cite qu’une simple allégorie. En plus d᾿une occasion, on l’exhibe même tronqué, comme si quelqu᾿un répondait à côté de la question, et qu᾿on lui dise : « Ce sont des faux que je demandais. » Et chez Cicéron : « Ce qui est donné… ». De temps à autre, une allusion d᾿un seul mot suffit, comme chez Aristote : tous comme ça, « les potiers ». Il y a également d᾿autres façons de varier ; mais si l’on en recherche un exposé plus détaillé, il sera loisible d’aller le trouver dans l᾿étude que j᾿ai composée Sur la double abondance des mots et des idées.


XIII. Les différentes figures proverbiales

Il ne me reste plus qu᾿à m᾿atteler à la tâche ; mais je n’énumérerai les dictons qu’après avoir mis en évidence quelques figures proverbiales. Certaines maximes, en effet, ne présentent pas une apparence très proverbiale, tandis que d᾿autres ont figure proverbiale, si bien qu᾿on les peut admettre facilement dans le rang des dictons.
Ainsi donc, est en général voisine du genre proverbial toute sentence, ainsi que la métaphore, et en particulier l᾿allégorie ; entre celles-ci, au premier chef celles qui sont prises dans des domaines au caractère bien marqué, et dont chacun a une connaissance pratique, comme la navigation ou la guerre. Par exemple les expressions suivantes : avoir le vent en poupe, sombrer, virer de bord, tenir la barre et écoper la sentine, se confier voiles ouvertes à la fortune des vents, prendre un ris. De même celles-ci : Faire sonner le combat et combattre au corps-à-corps, faire sonner la retraite, faire donner infanterie et catapultes, s᾿avancer contre, en venir aux mains, et mille autres de ce genre qui, si on les allonge un peu, se changent en dictons.
De même, tout ce qui est tiré de situations connues et extrêmement familières parce qu᾿on en a une expérience de tous les jours, comme toutes les fois que les mouvements du corps permettent aussi d᾿exprimer un état d᾿esprit. Dans cette catégorie, on a : appuyer le pouce sur l᾿index pour ‘approuver’, froncer les sourcils pour ‘mal supporter’, grincer des dents pour ‘s᾿indigner’, se dérider pour ‘s᾿égayer᾿. On y ajoutera ce qui est tiré des sens comme flairer pour ‘venir à savoir’, goûter pour ‘expérimenter᾿.
Ont presque un visage proverbial les termes techniques particuliers, toutes les fois qu᾿ils sont détournés de leur sens comme de deux octaves, pris chez les musiciens , diamétralement opposé, chez les mathématiciens, de même que les ‘mots d᾿un pied et demi᾿ ; ‘remettre sur l᾿enclume’, chez les forgerons, ‘au cordeau’ chez les tailleurs de pierre, ‘je n᾿ai pas tracé un seul trait’ chez les peintres, ‘écrire le dernier acte᾿ au théâtre.
De temps en temps, sans même parler de la forme, une allusion implicite apporte quelque chose de proverbial. Elle sera excellente toutes les fois qu᾿elle se rapporte à un auteur ou à une chose très célèbre, que nul n᾿ignore, tel Homère chez les Grecs, Virgile chez les Latins. Par exemple ce mot de Plutarque : « Puisque Platon a là une assemblée de braves témoins ». C᾿est en effet une allusion à cet usage liturgique selon lequel le prêtre avait coutume de dire : « Qui est là ? » Et les assistants répondaient alors : « Il y a là une assemblée de braves gens. » De même ce mot de Cicéron à Atticus : « Deux compagnons de route », et chez Lucien : « Les fils des médecins », pour les médecins eux-mêmes.
Ne sont pas loin non plus de ressembler à des proverbes ces tournures familières au poème bucolique : les impossibilités, propositions nécessaires, absurdités, oppositions, similitudes. Les impossibilités sont de ce genre :
Mais il est tout aussi laborieux
De mesurer les vagues sur la plage.

Et chez Virgile :
On verra bien plus tôt
Cerfs légers paître dans l᾿éther
Et les flots rejeter
Leurs poissons nus sur le rivage.

Les propositions nécessaires sont de ce genre :
Tant que le sanglier aimera les sommets, le poisson les rivières.

Et chez Sénèque :
Tant qu᾿ils suivront leur course,
Les astres éclatants du monde chargé d᾿ans.

Pour prendre un exemple parmi les absurdités :
Il irait mettre aussi des renards sous le joug
Ou bien traire des boucs.

Voici une opposition :
Même les verts lézards à cette heure se cachent
Parmi les ronciers – moi, je brûle d᾿amour.

De même chez Théocrite :
Voici que fait silence l᾿onde de la mer,
Que font silence même les souffles du vent ;
Mais en mon cœur, pour les soucis, point de silence.

Parmi les similitudes :
La lionne farouche court après le loup,
Le loup après la chèvre.

Et chez Théocrite :
La chèvre veut attraper le cityse,
Le loup à son tour va courre la chèvre.

Il y a aussi deux autres figures tout à fait voisines du genre proverbial, qui consistent soit à répéter le même mot ou des mots qui se ressemblent, soit à imbriquer des contraires. Par exemple : « Je te perdrai méchamment, avec ta méchanceté », « Mauvais corbeau, mauvais œuf », et « Sage, celui qu᾿éleva un sage » (c’est presque une habitude chez les Grecs, comiques aussi bien que tragiques), et encore : « à bon chien, bon os » ; « l᾿amitié appelle l᾿amitié » ; « coquin avec coquins » ; « à homme honnête, honnête homme » ; « l’un est cher à l’autre, qui le chérit » ; « c᾿est son roi qui plaît à la reine » ; « une main frotte l’autre main » ; « choucas avec choucas ».
Voici comment sont conformées les oppositions : « justice comme injustice », « dans l’honneur ou la souillure », chez Aristophane ; « de gré ou de force », chez Platon, ainsi que « pas un mot, pas un acte », de même que chez nos auteurs « plus rien pour distinguer le pie de l᾿impie » ; « elle mêlait dans son chant le vrai et le faux ». Mais Valère Maxime a ainsi usé de ce trope qu᾿il ne colle plus à sa véritable signification, tant il exagère. « Il attestait, écrit-il, qu᾿au faîte de son pouvoir, contre toute piété ou impiété, toi, chevalier romain, tu l᾿avais assassiné. » Car comment peut-il se présenter qu᾿on dise d᾿un méfait impie qu᾿il a été accompli contre toute impiété ?
Avec quel respect, quel mépris du droit ; faire et subir tout ce qu᾿on veut ; le digne et l᾿indigne ; qu᾿a-t-il dit, qu᾿a-t-il tu ? ; en temps de paix comme en temps de guerre ; en public, en privé ; ce que tu sais ou ignores ; en cachette, au grand jour ; plaisanteries et choses sérieuses ; des pieds et des mains ; jour et nuit ; qu᾿as-tu à dire d᾿abord, qu᾿as-tu à dire enfin ? ; ni grand ni petit ; jeunes et vieux ; avec l᾿approbation des dieux et des hommes. Appartiennent aussi à ce type les locutions suivantes, que l᾿on trouve tous les trois vers chez les poètes : une vierge non vierge, l᾿épouse inépousée , un mariage qui n’est pas un mariage, une cité sans cité, Pâris Pâris de malheur, un malheureux bonheur, des présents mais pas de cadeau, une crainte sans effroi, une guerre qui n᾿est pas guerre, des ornements sans ornement, l᾿ingrate gratitude, des ressources sans ressources.
Cette opposition s’observe parfois même dans un terme composé, tel mōrosophos, c᾿est-à-dire ‘follement sage’, et glüküpikros, ou ‘doux-amer᾿. Car c’est par ce mot, au dire de Plutarque, que les amants désignent leur sentiment, ainsi mêlé de plaisir et de douleur qu᾿ils se laissent languir de bon cœur.
Dans la même catégorie, on trouve aussi la fameuse opposition énigmatique, comme « je porte sans porter », « j’ai sans rien avoir », et encore « homme sans être homme, il a vu sans voir un oiseau qui n᾿est pas oiseau, perché sans l᾿être dans l᾿arbre, mais pas dans l᾿arbre : avec une pierre qui n’en est pas une, il tire mais ne frappe pas . » Cette énigme est rapportée à la fois chez Athénée, qui la tire de Cléarque, et chez Tryphon ; Platon en fait aussi mention. On a également, du même type : bavard sans langue, vulnérable invulnérable, barbu imberbe, enfant non enfanté. Athénée en propose un très grand nombre avec leurs solutions au livre dix. Et la façon proverbiale ne répugne pas à cette obscurité énigmatique ; si on la réprouve en d᾿autres occasions, le proverbe au contraire l᾿embrasse de bon cœur comme une parente. Par exemple, si l᾿on ordonne à quelqu᾿un qui a parlé sans discernement de faire voile vers Anticyre, de sacrifier un porc, ou d᾿aller arracher la scille des tombeaux : la première expression est chez Horace, la deuxième chez Plaute, la troisième chez Théocrite. En outre, la plupart des oracles sont aussi passés dans le domaine proverbial, et les préceptes allégoriques de Pythagore semblent participer de la nature des dictons.
L᾿hyperbole caractérise singulièrement le genre des adages, comme : de ses armes, il jette le ciel dans la terreur ; il brise les rochers d᾿un cri ; j᾿éclate de rire – en particulier si l᾿on y mêle quelque forme de métaphore. Elle peut être exprimée de plusieurs manières, par désignation, comparaison, similitude, épithète. Par exemple : un second Aristarque, notre Phalaris que voici ; avoir plus de voix que Stentor ; comme une lionne sur un sabre ; une voix de Stentor, une éloquence nestoréenne. Et je n᾿aurai pas besoin de me faire prier pour indiquer quelques sources, pour ainsi dire, auxquelles puiser ce genre de figure.

À la chose elle-même.

On emprunte parfois, en effet, à la chose elle-même, toutes les fois que l’on appelle un scélérat ‘crime incarné’, un infâme ‘opprobre’, un homme funeste ‘fléau’, un glouton ‘gouffre’, un ami des ténèbres ‘noirceur d’homme’, un impur ‘ordure’, celui que l’on méprise ‘déchet’, un immonde individu ‘fumier’, un homme monstrueux ‘monstre’, un importun ‘plaie’, celui qui devrait être derrière les barreaux ‘cachot ambulant’. À peu près toutes ces idées sont aussi exprimables par une comparaison comme ‘plus dorée que l’or’, ou encore : plus débauché que la débauche elle-même, plus aveugle que la cécité, plus prolixe que la prolixité, plus laid que la laideur, plus assoiffé que la soif même, plus pauvre que la pauvreté, plus malheureux que le malheur, encore moins expressif que le mutisme. On peut aussi ranger dans la même catégorie : le père des fringales, la source de toute éloquence, plus qu’incapable de parler, plus que perdu.

À des choses semblables.

Toutes proches sont les expressions tirées de choses semblables, comme : plus doux que le miel, plus noir que la poix, plus blanc que neige, une mer d’huile, plus mou que le lobe de l’oreille, plus pur que l’or, plus bête que le plomb, plus lent qu’une souche, plus sourd qu’un rivage , plus colérique que l’Adriatique, plus sourd que les flots, plus soiffard qu’une éponge, plus assoiffé que le sable, plus sec qu’une pierre ponce, plus bavard que l’air de Dodone, plus fragile que le verre, plus mouvant qu’une balle, plus instable qu’un cothurne, plus ténu qu’une renouée d’Égypte, plus haut qu’un aulne, plus dur qu’une pierre à aiguiser, plus brillant que le soleil, plus beau qu’un astre, plus pâle que le buis, plus amer que les herbes sardes, plus vil que l’algue, plus bouillonnant que l’Etna, plus fade que la bette, plus juste qu’une balance, plus tortueux qu’un roncier, plus creux qu’une ampoule, plus léger que plume, plus instable que le vent, plus odieux que la mort, plus vaste que l’abîme, plus embrouillé qu’un labyrinthe, plus vil qu’herbe sauvage, plus léger que liège, plus incontinent qu’un tonneau percé, plus translucide qu’une lanterne, plus suintant qu’une clepsydre, plus pur qu’une source, plus changeant que l’Euripe, plus cher que la prunelle des yeux, plus doux que la lumière, plus vieux que la vie, plus cassant que ronce séchée, plus insipide qu’un chou réchauffé, plus propre qu’un gouvernail , plus licencieux que les Floralies.

À des êtres animés.

De même, d’êtres animés, comme : plus bavard qu’une femme, plus lascif qu’un passereau, plus libidineux qu’un bouc, plus vif qu’un cerf, plus vieux qu’une corneille, plus bruyant qu’un choucas, plus harmonieux que le rossignol, plus nuisible que la dipsade , plus venimeux que la vipère, plus fourbe qu’un renard, plus piquant qu’un hérisson, plus doux qu’un porcelet d’Acarnanie, plus glissant qu’une anguille, plus peureux qu’un lièvre, plus lent qu’une limace, en meilleure santé qu’un poisson , plus muet qu’un poisson, plus folâtre qu’un dauphin, plus rare que le Phénix, plus prolifique qu’une truie blanche, plus rare que le cygne noir, plus changeant que l’hydre, plus rare que le corbeau blanc, plus vorace qu’un vautour, plus mauvais que les scorpions, plus lent qu’une tortue, plus gros dormeur qu’un loir, plus ignare qu’un porc, plus stupide qu’un âne, plus sauvage que les hydres, plus craintif qu’un daim, plus soiffard qu’une sangsue, plus bagarreur qu’un chien, plus velu qu’un ours, plus léger qu’une araignée d’eau.
Lucien aussi en rassemble quelques-uns de ce genre : « puisqu’ils sont plus colériques que des chiots, plus peureux que des lièvres, plus flatteurs que des singes, plus dépravés que des ânes, plus pillards que des chats, plus querelleurs que des coqs ». De même Plutarque dans le Contre l’usure : « puisque tu es moins digne de confiance qu’un choucas, que tu es plus muet qu’une perdrix, plus abject et servil qu’un chien ».

Aux personnages des dieux.

On emprunte aux personnages des dieux : plus chaste que Diane, plus bienveillant que les Grâces elles-mêmes, plus lubrique que Priape, plus beau que Vénus, plus disert que Mercure, plus mordant que Momos , plus inconstant que Vertumne , plus changeant que Protée, plus mobile qu’Empousa .

Aux personnages fabuleux.

Aux personnages fabuleux : plus assoiffé que Tantale, plus cruel qu’Atrée, plus monstrueux que le Cyclope, plus fou qu’Oreste, plus rusé qu’Ulysse, plus disert que Nestor, plus bête que Glaucus, plus pauvre qu’Irus, plus chaste que Pénélope, plus beau que Nirée , plus vivace que Tithon, plus affamé qu’Érysichthon , plus fécond que Niobé, d’une voix plus forte que celle de Stentor, plus aveugle que Tirésias, plus blâmable que Busiris , plus embrouillé que la Sphinge, plus enchevêtré que le Labyrinthe, plus ingénieux que Dédale, plus téméraire qu’Icare, plus haut que les Géants, plus sot que Gryllus , à la vue plus perçante que celle de Lyncée , plus tenace que le Serpent .

Aux personnages de comédie.

Aux personnages de comédie : plus vantard que le Thrason de Térence, plus querelleur que Déméas, plus affable que Micion, plus flatteur que Gnathon, plus hardi que Phormion, plus habile que Davus, plus cajoleur que Thaïs, plus économe qu’Euclion.

Aux personnages historiques.

Aux personnages historiques : plus acerbe que Zoïle , plus sévère que Caton, plus dur que Timon, plus cruel que Phalaris , plus chanceux que Timothée , plus mauvais que Sardanapale, plus religieux que Numa, plus juste que Phocion , plus incorruptible qu’Aristide, plus riche que Crésus, plus argenté que Crassus, plus pauvre que Codrus , plus exubérant qu’Ésope , plus avide de gloire qu’Hérostrate , plus circonspect que Fabius, plus patient que Socrate, plus fort que Milon , plus pénétrant que Chrysippe, avoir une plus belle voix que Trachalus , plus étourdi que Curion , un Aristarque de notre temps, un Épicure chrétien, de même un Caton manqué .

Aux nations.

Aux nations : plus perfide qu’un Carthaginois, plus rude qu’un Scythe, plus inhospitalier que les Scythes du mont Taurus, plus menteur qu’un Crétois, plus fourbe que les Parthes, plus soiffard que les Thraces, plus perfide qu’un Thessalien, plus vil qu’un Carien, plus superbe qu’un Sybarite, plus efféminé que les Milésiens, plus riche que les Arabes, plus petit qu’un Pygmée, plus bête qu’un Arcadien.

Aux métiers.

Aux métiers : plus faux qu’un maquereau, plus efféminé qu’un prostitué, plus vantard qu’un soldat, plus sévère qu’un Aréopagite, plus violent qu’un tyran, plus monstrueux qu’un bourreau.


XIV. Tempérer certains dictons avant de les énoncer

Cela peut sembler être un petit point de détail bien mineur, mais puisque je me fais fort d’enseigner, je ne répugnerai pas à le rappeler (à l’adresse, naturellement, des moins expérimentés) : lorsque nous employons des adages, nous devons garder à l’esprit ce que Quintilien préconise sur les néologismes ou les glissements de sens un peu forcés (ce que, dit-il, les Grecs ont fort élégamment prescrit), à savoir de critiquer préventivement sa propre hyperbole , et ainsi nous faudra-t-il corriger d’avance et pour ainsi dire courir au-devant du dicton, chaque fois qu’il semblera trop obscur ou encore trop hardi. C’est que le genre admet tout à la fois, comme on l’a montré il y a peu, des métaphores aussi hardies que possible, des néologismes effrénés, des hyperboles assez salées et des allégories obscures jusqu’à l’énigme.
Voici, dans l’ensemble, comment les Grecs s’excusent d’avance : comme dit le proverbe, comme on dit, dit-on, c’est ce qu’on dit, comme on dit souvent, comme dit la vieille maxime, on dit bien, dit-on bien, comme on dit proverbialement, comme on dit pour plaisanter, on fait bien de dire. Les Latins emploient à peu près les mêmes tournures : dit-on, comme on dit, comme dit le vieux proverbe, selon l’expression bien courante, ainsi qu’on a l’habitude de dire, pour employer cette vieille formule, comme dit l’adage, ou encore : il est bien vrai, le proverbe.

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