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Prolégomène 5 : Eloge des proverbes pour leur mérite (A. Laimé)

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Prolégomène 5 : Eloge des proverbes pour leur mérite (A. Laimé) Empty Prolégomène 5 : Eloge des proverbes pour leur mérite (A. Laimé)

Message  JCS Ven 8 Mai - 10:39

Pour empêcher plus avant que le lecteur ne se dégoûte et ne repousse cette partie de l’exposé théorique, la considérant comme trop triviale, bien facile et presque puérile, j’exposerai brièvement combien les adages, si insignifiants semblent-ils, ont été estimés par les anciens. Ensuite, je dirai quel grand profit on peut en tirer quand on en use à propos et avec esprit (scite ?) ; et pour finir, que ce n’est pas le premier venu qui peut en user comme il faut.
Commençons par dire que les hommes les plus excellents ne font pas peu de cas des adages : preuve suffisante en est, me semble-t-il, que des auteurs de premier rang n’ont pas estimé honteux d’en composer avec soin quelques recueils. Le premier d’entre eux, c’est Aristote, sans conteste si grand philosophe qu’à lui tout seul il en remplacerait une foule ! Selon le témoignage de Diogène Laërce, il a laissé un recueil d’adages. Chrysippe également a compilé deux livres de proverbes, dédiés à Zénodote. Cléanthe a écrit sur le même sujet. Si les travaux de ces hommes distingués subsistaient, nous n’aurions eu nul besoin de pêcher avec tant de peine certains adages chez d’insignifiants auteurs dont les textes sont aussi bâclés qu’ils sont remplis d’erreurs. On trouve quelques recueils de proverbes sous le nom de Plutarque, mais bien peu et pour ainsi dire sans commentaires. Parmi les parémiographes, on cite souvent, entre autres, Athénée et ses Deipnosophistes ; Cléarque de Soles, disciple d’Aristote ; Aristide, et Zénodote qui composa un abrégé de proverbes de Didyme et de Tarrhaeus. Dans des scolies à Démosthène, on cite aussi des proverbes de Théophraste. On voit donc clairement que ces grands hommes ont laissé des recueils de notes sur ce sujet. Il ne m’échappe pas qu’une œuvre de ce genre circule sous le nom de Zénobius. Mais puisque je trouve chez le commentateur d’Aristophane quelques attributions à ce Zénodote qui a condensé Didyme et Tarrhaeus en un abrégé, et que l’on lit mot pour mot dans ses commentaires, je voudrais qu’on ne me blâme pas de le citer dans cet ouvrage sous le nom de Zénodote, quelque fût son nom (où est le problème ?). Ce dernier cite, parmi d’autres, un parémiographe du nom de Milon. Bon nombre d’auteurs, et particulièrement celui qui a commenté un certain nombre d’expressions tirées de Démosthène, font référence à un certain Daemon, qui semble avoir composé un grand nombre de livres sur les proverbes : on en cite en effet un livre 40. Il reste aussi les compilations de Diogenianus. Hésychius affirme dans sa préface avoir expliqué avec plus de détail les proverbes que Diogenianus avait compilés sans trop de commentaires. Mais l’œuvre elle-même et son prologue se contredisent puisque ce dernier affirme donner une liste d’auteurs et de sujets de proverbes, tandis que le premier est si bref qu’on ne pourrait rien imaginer de plus dépouillé. C’est pourquoi je suppose que l’auteur avait composé un ouvrage plus riche, qu’un autre avait ensuite réduit en un abrégé. Suidas, que l’on doit compter lui aussi dans ce nombre, mentionne un certain Théétète qui a écrit un ouvrage sur les proverbes. Mais pourquoi parler de ceux-ci quand les Hébreux, ces illustres sages, n’ont pas hésité à publier un certain nombre de livres intitulés Proverbes, ni à enclore les saints mystères de l’invisible divinité dans des adages dont la sagacité de générations de théologiens s’est efforcé d’extraire le sens, et s’efforce encore aujourd’hui.
Voici également une preuve de poids : parmi les bons auteurs, ce sont les plus érudits et les plus éloquents qui ont le plus parsemé d’adages dans leurs livres. Et pour commencer par les Grecs, quoi de plus proche du style des proverbes pour ainsi dire, que Platon le grand (pour ne pas dire le divin) ? Aristote, philosophe grave s’il en a été, n’a nulle répugnance à émailler de nombreux adages, comme de petites pierres précieuses, ses différents traités. Théophraste, comme en tout point d’ailleurs, l’a imité en ceci également. Plutarque, à la plume austère, vertueuse et presque puritaine, ne regorge-t-il pas en tout lieu de nombreux adages ? Cela ne l’a pas dérangé de proposer certains adages dans ses problèmes, et de les examiner avec soin, suivant en cela l’exemple d’Aristote.
Venons-en pour l’heure aux Latins : je laisserai de côté les grammairiens et les poètes, dans leurs deux genres, à moins que l’on ne considère qu’il faille prendre en compte Varron. En effet, il a donné à ses Ménippées des titres issus de proverbes ; à tel point qu’on s’accorde généralement sur le fait qu’il a emprunté le sujet de ses fables à rien d’autre qu’à des proverbes. Les princes romains ont estimé que répondre par un proverbe quand on les consultait sur des sujets importants ne dérogeait en rien à leur impériale étiquette. Preuve en est celui-ci dans les Pandectes : « Ni tout, ni partout, ni de tous ».
Et puis, qui oserait mépriser ce genre, quand on voit que certains oracles de prophètes sacrés sont constitués de proverbes ? Parmi ceux-ci on trouve « Nos pères ont mangé du raisin vert et nos dents ont grincé ». Qui même ne les vénérerait pas comme une chose sacrée et appropriée aux mystères de la religion, quand on voit que partout le Christ, notre modèle, a pris spécialement plaisir à user de ce genre de propos ? Chez les Grecs, on rapporte cet adage : « Je juge l’arbre d’après son fruit ». Chez saint Luc on lit de même « Le bon arbre ne produit pas de fruits véreux, ni l’arbre véreux de bons fruits ». Chez les Grecs, le philosophe Pittacus a envoyé un homme qui l’interrogeait auprès d’enfants qui jouaient à la toupie, afin qu’il apprenne d’eux, grâce à un proverbe, quelle femme il devait épouser ; il entendit « Pousse celle qui est en ligne ». Le Christ cite un adage, entendu dans la bouche d’enfants qui jouaient sur la place publique : « Nous avons joué de la flûte pour vous, et vous n’avez point dansé ; nous avons chanté tristement, et vous n’avez pas pleuré ». Le mot suivant de Théognis lui ressemble beaucoup, pour peu qu’on s’autorise à comparer ce qui est saint à ce qui est profane : « Même Jupiter ne saurait plaire à tous, qu’il fasse tomber la pluie ou bien la retienne. »
Et si c’est l’ancienneté qui confère de l’autorité, nul genre d’enseignement ne semble plus ancien que celui des adages. Ceux-ci, comme des symboles, enfermaient presque toute la philosophie des anciens. Que sont d’autre les oracles des vieux sages sinon des proverbes ? On les a tant tenus en estime jadis qu’on dirait qu’ils ne sont pas d’origine humaine mais céleste. « Du ciel, dit Juvénal, descend "Connais-toi toi-même" ». C’est pourquoi, comme s’ils étaient dignes des dieux, on les voyait gravés sur le devant des portes des temples et en tout lieu sur les colonnes et les marbres. On eût dit qu’ils méritaient qu’on s’en souvînt à jamais.
Et si l’adage nous semble une bagatelle, rappelons-nous qu’il faut l’estimer non pour sa taille mais pour sa valeur. Quel homme sain d’esprit ne ferait pas plus grand cas de petites pierres précieuses, si minuscules soient-elles, que de lourds rochers ? Et de même que, suivant en cela Pline, les miracles de la nature sont plus grands dans les tout petits êtres vivants (comme une petite araignée ou un moustique), que dans l’éléphant (pourvu qu’on y regarde d’assez près), de même en littérature les plus petites formes renferment parfois le comble du génie.

JCS
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