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à William Mountjoy (trad. Frédéric Lévy)

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Message  JCS Ven 8 Mai - 9:58

ÉRASME DE ROTTERDAM À WILLIAM MOUNTJOY, TRÈS ILLUSTRE BARON D’ANGLETERRE.

Il y a longtemps, alors que je me trouvais à Paris, j’avais composé un recueil de proverbes — un bouquet d’arbres, dirons-nous — en l’espace de quelques jours à peine. Ce travail bien peu rigoureux, que j’avais réalisé sans avoir à ma disposition le moindre ouvrage grec, je vous l’avais offert, très noble William Mountjoy, à titre privé bien sûr, au lieu de vous offrir un petit traité, car j’avais remarqué que vous aviez une affection particulière pour ce genre d’écrit. Certains, avec l’empressement que l’on sait — mais cet enthousiasme démesuré à mon égard n’était pas une bonne chose —, prirent soin de le diffuser et de le faire imprimer, mais si mal qu’on aurait dit qu’ils l’avaient fait en pensant à tout autre chose. Et pourtant, composé et édité dans les conditions que je viens de dire, le recueil obtint un succès inattendu, qu’on impute ce succès à votre génie ou à son génie propre. Ceux qui entendaient produire une littérature élégante y avaient, semblait-il, trouvé un tel secours qu’ils déclarèrent avoir une dette immense envers Votre Majesté, et même une certaine dette envers nous pour l’effort que nous avions accompli. Et donc, pour réparer les fautes qui s’étaient introduites dans la première édition et pour récompenser, en leur offrant un travail revu et augmenté, tous ceux qui avaient manifesté leur intérêt pour chacun de nous deux, pour aider en outre ce goût de la culture qui ne cesse de croître de jour en jour dans votre Angleterre, j’ai remis mon ouvrage sur le métier, après m’être procuré cette fois à peu près tous les outils de littérature grecque dont j’avais besoin, et j’ai constitué un recueil de plus de trois mille deux cents adages — pourquoi ne pas appliquer ici les dénombrements qu’on applique aux thesaurus ? — empruntés à d’innombrables auteurs.
J’avais envie, pour puiser — comme on dit — dans le même fût d’huile, d’ajouter de belles métaphores, d’élégantes formules, de sublimes maximes, de gracieux jeux de mots, de poétiques allégories, tout cet équipement qui, me semblait-il, s’apparentait au genre de l’adage et pouvait contribuer à enrichir et embellir mon discours. De façon plus pertinente, j’avais décidé d’ajouter des interprétations de textes ésotériques empruntées aux anciens théologiens, estimant que j’allais pratiquement me retrouver sur mon terrain, au cœur de ma mission, et parce que cet aspect des choses me semblait favoriser à la fois activité de l’esprit et rigueur morale. Mais, quand je vis l’ampleur que prenait cette partie de mon travail, épouvanté par l’étendue quasi-insondable de la tâche, je reculai mes pions et, renonçant à aller plus loin, je passai le flambeau à qui voudrait prendre la relève. Je ne puis dire, cependant, que je regrette l’effort que j’avais fait : il m’a permis, dans une certaine mesure, de raviver la mémoire effacée de choses qui avaient passionné ma jeunesse. Mais la promenade devait s’arrêter là. Du reste, vieillir et passer une grande partie de sa vie dans une affaire qui n’était pas la mienne, cela ne m’allait pas et ne manquerait pas de m’attirer des critiques. C’est pourquoi nous traiterons des interprétations théologiques qui relèvent de notre entreprise, quand nous disposerons d’un grand nombre d’ouvrages grecs sur cette question, et nous le ferons d’autant plus résolument que nous voyons depuis des siècles les théologiens négliger cet aspect des choses, même lorsqu’il est capital, pour consacrer tous leurs efforts à commenter des sophismes — activité qui serait tout à fait légitime si elle n’était pas unique. Mais j’omettrai d’autant plus volontiers les autres aspects que j’ai compris qu’était prêt à les traiter depuis longtemps, et de sa propre volonté, Richard Pace, jeune homme possédant une telle connaissance des deux littératures [anglaise et italienne] qu’il peut par son seul talent illuminer toute la (Grande-)Bretagne, avec une sincérité et une modestie telles que personne ne mérite autant que lui votre faveur et celle de vos semblables. Les qualités de ce successeur font que, en renonçant au reste de notre tâche, nous n’aurons en rien lésé ceux que le sujet intéressait ; mieux encore, ils y gagneront. Et la totalité de l’ouvrage revient à votre (Grande-)Bretagne.





Vous savez ce qui m’a poussé à entreprendre ce travail — cet énorme travail. Je vais maintenant vous expliquer brièvement quelle a été ma démarche. Comme classement (si tant est qu’il y ait ici un classement), nous proposons un index, dans lequel nous avons regroupé en sections (tribus) les proverbes qui nous semblaient être du même aloi ou avoir un rapport entre eux. En les recueillant, nous n’avons pas été scrupuleux au point de n’inclure que ce qui portait la mention ϕασις ou quelque symbole manifeste du même genre, mais nous n’avons pas eu non plus la témérité de nous saisir automatiquement de tout ce qui, peu ou prou, s’apparentait au genre de l’adage, ne tenant pas à qu’on puisse nous accuser à bon droit de transformer sur-le-champ en adage tout ce qui nous tombait sous la main comme Midas transformait en or tout ce qu’il touchait. Presque tous les proverbes grecs que nous citons ont été traduits en latin ; nous sommes bien conscient, ce faisant, d’avoir rompu avec les usages des anciens et de n’avoir ajouté aucun éclat au style. Mais nous avons tenu compte de l’époque qui est la nôtre. J’aimerais tant que la connaissance de la littérature grecque se répande partout d’une manière telle qu’on puisse à juste titre m’accuser de m’être livré à une tâche inutile. Mais, pour une raison qui m’échappe, nous hésitons à utiliser une source aussi féconde et préférons embrasser n’importe quelle ombre de savoir plutôt que ce sans quoi il ne saurait y avoir aucun savoir et de quoi dépend la pureté de toutes les connaissances.
Pour les vers, dont les occurrences sont innombrables, nous avons conservé dans notre traduction les mètres d’origine, à quelques rares exceptions près — je voyais bien que si je rendais les vers pindariques ou les vers utilisés dans les chœurs par des vers contenant aussi peu de syllabes, l’effet serait ridicule ; mais inversement, il eût été stupide de prétendre coudre un type de vers qui n’obéît pas à une structure analogue. Dans tous les autres cas, pour ce qui est de la métrique, nous nous sommes accordé, rarement, mais en plusieurs occasions malgré tout, les libertés qu’avaient pu s’accorder les auteurs mêmes à qui nous empruntions nos citations : emploi, par exemple, dans les trimètres d’Aristophane, de l’anapeste là où on attendrait un rythme pair ; abrègement (μειουρος στιχος) du vers dans les hexamètres homériques et, inversement, allongement (εκτασις) normalement réservé à la syllabe finale étendu à n’importe quel temps faible, et autres phénomènes du même ordre. Nous signalons la chose pour qu’on n’aille pas nous accuser d’avoir fait ce que nous avons fait par pure ignorance.
Autant qu’il était possible face à une masse aussi énorme de références, surtout de références antiques, avec des textes très souvent terriblement incomplets ou corrompus, et compte tenu du peu de temps dont nous disposions, que nous avons dû organiser plus en fonction de nos disponibilités que par rapport à ce qu’aurait exigé notre tâche, nous avons tout fait pour qu’un lecteur bien disposé ne se sente pas frustré. Il reste toutefois des choses que moi-même je ne trouve pas satisfaisantes. Si, à leur sujet, une réflexion complémentaire (toujours fructueuse, si l’on en croit le proverbe) ou un plus grand nombre d’ouvrages disponibles me permettent de préciser certaines choses, je n’aurai en aucune façon honte de chanter une palinodie, suivant en cela l’exemple des Anciens. Si qui que ce soit nous devance et corrige nos fautes, bien loin d’y voir une insulte faite à notre personne, nous lui en serons très reconnaissants. De même que j’approuve le soin de ceux qui font ce genre d’effort, j’admire la chance de ceux qui parviennent à ne laisser dans leurs écrits rien qui puisse tomber sous les griffes de Momus. Nos modestes moyens ne sauraient avoir cette prétention, surtout dans la matière que nous avons choisie. Mais si nous avons pu exhumer des choses que le public ignorait (et je crois pouvoir dire qu’on en rencontrera un assez grand nombre dans cet ouvrage), c’est avec plaisir et sans forfanterie que nous les partageons ; inversement, si nous avons commis des erreurs, nous accepterons bien volontiers qu’on nous les signale, également prêt à enseigner sans détours ce que nous savons et à apprendre de bon gré ce que nous ignorons. Il ne m’a jamais plu de suivre l’exemple de ces gens qui, découvrant qu’une syllabe avait été mise à la place d’une autre, se mettent à gesticuler comme s’ils avaient pris Babylone, sautent, triomphent, et dénoncent comme des crimes les services rendus par des gens scrupuleux, et qui, inversement, si on leur fait la moindre objection, ferraillent comme ils feraient pour défendre des foyers et des autels.



J’espère que même le plus candide des lecteurs approuvera nos veilles, si vous réservez à celles-ci la bienveillance que nous vous connaissons, incomparable Mécène de mes travaux. Car quel autre nom pourrait résumer plus vite et plus complètement l’attitude qui a été la vôtre à mon égard et l’étendue de vos mérites ? Vous êtes assurément, de tous les hommes, le plus digne du magnifique compliment d’Apulée : le plus noble des savants, le plus savant des nobles, le meilleur des savants et des nobles — à quoi il convient d’ajouter : le plus modeste de tous les hommes. Tout comme vous avez ajouté à l’éclat de votre famille le savoir, et au savoir l’étonnante pureté de votre vie, vous avez posé sur toutes ces qualités le plus beau de tous les sommets, de tous les frontons (comme on dit) — une modestie admirable. Mieux encore, distinction aussi importante que le plus grand des éloges et même que le plus étendu des panégyriques : vous avez plu au Roi, le plus sage de tous ceux que notre époque a connus, mais aussi de tous ceux qu’ont transmis à notre mémoire les antiques annales, et — principale qualité chez un roi — très exigeant dans le choix de ses favoris. L’usage, chez les auteurs, est de consacrer une bonne partie de leur préface à faire l’éloge de ceux à qui ils dédient leurs élucubrations, et il faut, pense-t-on, récompenser la vraie vertu en immortalisant son souvenir, ce qu’aucun monument ne saurait accomplir mieux qu’un livre ; j’avais ici l’occasion de tisser des louanges sincères et sans fard, une occasion comme personne n’en a jamais eu. Cependant, puisque notre franchise, qui vous est bien connue, est incompatible, non seulement avec la flagornerie, mais aussi avec toute espèce de flatterie, et que votre extraordinaire modestie ne supporte rien moins que les louanges, même les plus modérées, oublions tout cela et passons à l’étude des adages, pour lesquels, suivant le principe des philosophes, il nous a semblé bon de commencer par une définition. Lisez et passez votre chemin, ou restez plutôt avec moi le plus longtemps possible.

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