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à tous les philologues (trad. Paul Gaillardon)

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Message  JCS Ven 8 Mai - 10:09

DES. ERASME DE ROTERDAM A TOUS LES PHILOLOGUES SALUT.
Si d’après le vieux proverbe, en toute chose la mesure est ce qu’il y a de mieux, il était juste d’apporter aussi de la mesure dans la collecte des proverbes ; il y a en effet même pour les meilleures choses, sinon de la saturation, du moins une certaine mesure. Ainsi pour de nombreuses raisons j’avais décidé de me reposer désormais de ce genre d’études : le caractère infini de ce sujet condamnait à l’impuissance quiconque prétendait ne rien laisser de côté (notamment à cause de la mise en lumière d’auteurs jusque là ignorés) ; on s’était tant investi dans cette affaire, que j’estimais qu’il fallait redouter que le lecteur, écoeuré par cette profusion, criât « Holà ! C’est déjà bien assez ! » plutôt qu’il ne désirât un supplément ; mon âge et mon esprit qui n’étaient déjà plus du tout les mêmes, se détournaient de ce genre d’études pour se porter davantage vers les choses auprès desquelles mourir ne fût ni honteux ni stérile ; j’estimais que les fleurs et les pierres précieuses par lesquelles les érudits avaient pris l’habitude de signaler leurs écrits, avaient un peu plus de charme si on les cueillait pour soi chez des auteurs non galvaudés par la multitude, que si on les prenait broyées dans des compilations. Du reste, cette raison n’a pas empêché que chez les Grecs, un si grand nombre d’hommes aussi graves qu’érudits rédigent des proverbes.
Pour moi aussi la raison de l’utilité l’a emporté, parce que je voyais que cette œuvre conduisait grandement à rectifier des erreurs grâce aux auteurs, ainsi qu’à surmonter des difficultés auxquelles les critiques n’opposaient qu’une faible résistance. Ensuite, l’appendice non négligeable que nous avons ajouté, pour parler sans fraude, a été fourni davantage à la demande des typographes que par ma volonté. Car une amitié digne de Pylade, qui m’a lié autrefois avec l’excellente personne de Jean Froben, maintenant avec Jérôme Froben si semblable à son père, et l’admirable habilité où ils excellent également tous deux pour faire avancer les meilleures études, font que, quand j’aurais voulu leur refuser quoi que ce soit, et quand même je l’aurais dû, je n’aurais rien pu leur refuser obstinément.
Et puisse cette part du travail apporter autant de profit aux gens d’études, qu’elle m’a peu apporté de plaisirs. En outre, même si rien de tout cela ne se produit, du moins les autres érudits qui s’attèlent à traiter le même sujet ont jugé qu’il était particulièrement incivil et déloyal de s’abandonner à ne rien faire ; aussi, pourvus par la vigueur de leur intelligence, leur énergie juvénile, ou la lecture de volumes bien copieux, sont-ils sur le point d’apporter aux recherches une moisson particulièrement abondante. Ma volonté est si peu de faire obstacle à leurs efforts, que je me réjouirais vivement si quelqu’un éclipsait notre œuvre. Maintenant, je ne veux pas que le lecteur oublie la mise en garde que je lui ai faite il y a quelques temps, de ne pas s’étonner si dans cette œuvre, se présentent des écrits d’époques différentes. Ce qui est en cause, ce sont les fréquentes éditions, qui ne vont pas sans nouveaux ajouts. En effet, on a donné en premier lieu un avant goût de ce sujet à Paris chez le typographe Jean Philippe, allemand de naissance, qui tenait un atelier dans le faubourg Saint-Marc, près de l’enseigne de la Trinité en 1500. Le typographe n’a pas précisé le mois, mais la lettre qu’a envoyée Faustus Adrelinus comporte le 15 juin de la même année. Assez longtemps après, Josse Bade a cherché à rivaliser avec cette édition, puis Matthias Schurerius de Strasbourg ; après cela nous avons publié l’oeuvre agrandie à la taille d’un volume normal, à Venise chez Alde Manuce en 1508. Alors que je l’ignorais, à Bâle Jean Froben a cherché à rivaliser avec l’édition d’Alde, et suite à cela, il a publié plus de sept fois la même œuvre, et jamais sans ajout.
Mais puisque ce genre d’écrits se fonde sur une collecte consciencieusement menée de partout, le premier qui chez les Latins aura entrepris de παροιμολογειν ne recevra pas une notoriété bien importante, si son habileté de jugement et de traitement déméritent en quoi que ce soit. Si quelqu’un produit au jour une édition antérieure à celle que j’ai désignée comme étant la première, il en attribuera généreusement le mérite au fait que ce dessein non dépourvu de noblesse lui soit venu à l’esprit avant les autres. Et il est tout à fait étonnant que, quand chez les Grecs beaucoup d’écrivains illustres ont magistralement traité ce genre, chez les Latins personne ne se soit distingué de la foule des grammairiens pour assumer une telle tâche ; mais d’après moi, les jardins des Latins ne sont pas moins fleuris que ceux des Grecs. Pourtant, je ne sais pourquoi, l’admiration portée aux Grecs est si exclusive, que les Latins ont manifestement considéré avec dédain leurs propres oeuvres. Or, je ne vois pas pour quelle raison Virgile devrait être tenu pour inférieur à Homère et Hésiode, ou Sénèque, malgré tous ses défauts, à Euripide, ou Plaute et Horace à Aristophane : et de fait, M. Tullius, pour ce qui touche de près à notre affaire, surpasse de loin Démosthène. Le premier donc, quel qu’il soit, qui a entrepris cela pour les Latins, a entrepris une chose qui n’est ni méprisable, ni stérile. Deux ans déjà s’étaient écoulés depuis que cet avant-goût de l’œuvre avait été inauguré à Paris, quand j’ai obtenu par hasard à Louvain, des mains de Jérôme Buslidius, qui était alors revenu depuis peu d’Italie, un petit traité proposant des adages. J’y ai découvert soixante dix proverbes environ, recueillis à partir de commentaires de Latins, principalement de Philippe Béroalde. J’ai consulté l’année et le jour ; l’année était la même, mais ma publication la précédait de trois mois ; et les faits mêmes déclaraient assez bien qu’aucun de nous n’était alors connu de l’autre, mais que la même idée nous était venue en même temps à l’esprit. En conséquence, s’il importe en quelque chose de savoir qui le premier a abordé ce sujet, chacun d’entre nous a été le premier, si le premier est celui qui ne suit personne. Je parle des Latins. Et si celui qui enrichit les proverbes est celui qui en a publié le plus, je les ai certainement enrichis, moi qui en ai fourni dès ma première édition plus de quatre-vingts, dont j’avais puisé une bonne part dans les Fragments Grecs de Diogénianus. Mais après que j’eus publié tant de proverbes, chacun pouvait aisément faire un ajout à sa propre collecte, en déclarant l’avoir recueilli chez les bons auteurs, sans pour autant mentir. En effet nous avons quant à nous recueilli tous les proverbes chez chacun des meilleurs auteurs, en indiquant scrupuleusement dans une table, comme il est juste, à qui nous devons ce que nous avons reçu. Ainsi nous n’avons pas frustré Apostolius de la part de gloire qui lui est due ; tant était éloignée de moi l’idée de me parer avec le plumage d’autrui.
Je n’aurais pas jugé ces choses dignes d’être rappelées, si je n’avais pas vu certaines personnes tenter sérieusement de passer aux yeux d’autrui pour les premiers précurseurs de ce type, en faisant mine de n’avoir fait aucun emprunt à mes Adages, et d’avoir au contraire conçu tout un ouvrage sous leurs propres auspices et par leurs propres moyens. Or s’ils cueillent ce qu’ils publient chez les vieux auteurs, alors qu’en eux réside une abondance infinie que nous avons laissée de côté, pourquoi, omettant ceux-ci, accumulent-ils en si grand nombre ce qui a été mis en avant par nous, et apportent-ils en si petit nombre ce qui n’a pas été touché par nous ? Pourquoi mentionnent-ils si rarement les auteurs que nous ne mentionnons pas ? Et s’ils innovent par un tout petit rien, pensent-ils que leur larcin en soit immédiatement dissimulé, s’ils fixent des poignées neuves sur de vieilles marmites ? S’ils n’ont pas lu nos écrits, avec quel front vont-ils déclarer n’avoir rien de commun avec moi ? S’ils les ont lus, et pensent le dissimuler, encore auraient-ils dû parachever cela par l’application et l’habileté du traitement, pour que le fard ne se fasse sentir de personne. Pour ma part, je parais largement assez versé dans les bons auteurs pour n’avoir nullement besoin de dérober furtivement quelque chose aux compilations d’auteurs récents ; pourtant aucun demi-savant aujourd’hui n’est assez vil pour que je le juge indigne d’être lu, s’il publie un livre proposant des adages, car on a eu raison de dire qu’aucun livre n’est assez mauvais pour qu’on ne puisse rien en cueillir de bon. Refuser de lire ceux qui traitent un sujet commun au sien est le propre d’une arrogance indigne ; dissimuler ce qu’on a lu est le propre d’un arrivisme encore plus indigne ; nier un bienfait est le propre de l’ingratitude la plus indigne.
Je peux dire que ces choses-là sont davantage leur affaire que la mienne. En effet, pour ce qui touche à mon intention, je souhaite qu’il soit loisible à tous de polir et repolir des proverbes trois ou quatre fois, qu’on aime les nouveaux, ou qu’on préfère les anciens. S’ils font cela avec moins de réussite que moi, ils ne feront aucune ombre à mon renom, au contraire ! La pourpre de basse qualité, mise à côté, rendra ma pourpre plus éclatante. Mais s’ils ont plus de réussite, j’en féliciterai les études communes, et moi-même à travers elles. Et je ne doute pas que ce siècle ait de très nombreux jeunes gens capables de courir devant moi dans ce stade. La palme est au milieu, s’en saisisse qui le peut.
Mais voilà plus que je ne voulais en dire. Il y a une chose pour laquelle j’aurai peut-être besoin de l’indulgence du lecteur ; comme cette œuvre a été publiée tant de fois entre de longs intervalles, je ne pense pas avoir évité partout que les mêmes choses ne se répètent. Porte toi bien, qui que tu sois, ami Lecteur.

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